Les noces d’or, vues de près!

Je vous livre le joli texte qu’Evelyne a écrit sur ce 22 janvier dernier qu’elle et Victor ont eu la chance et l’honneur de passer à Berlin. Ce jour-là, en effet, ils étaient les invités de Madame Merkel et de Monsieur Hollande au Reichstag! Rien que ça….. Avec eux, un petit morceau de la FAPS était également présent! Merci Evelyne!


Impressions berlinoises

 Berlin, 22 janvier 2013


Le taxi roule sur des artères étrangement désertes. Plus aucune circulation, ville-fantôme, tétanisée par la neige et la glace. Une ambiance à la John Le Carré, style « L’espion qui venait du froid ». Arrivés en vue du Reichstag, tout s’explique : « Keine Durchfahrt !», nous intiment des policiers encagoulés, aimables mais fermes. Tout le quartier a été bouclé et la présence policière est là pour assurer la sécurité des officiels français et allemands qui vont investir sous peu le siège du Bundestag: quelque 500 députés français ajoutés aux 621 députés allemands, plus les gouvernements français et allemand au grand complet, sans oublier les deux chefs d’Etat et présidents des Parlements et de quelques organes officiels, la presse internationale …et quelques invités. On imagine sans peine le casse-tête que doit représenter la sécurité, en ces temps incertains : une petite bombe lâchée au moment propice sur la coupole du Reichstag, et c’est « le moteur franco-allemand » qui vole en éclats, l’Europe qui se trouve décapitée.

Heureusement, Victor et moi avons notre invitation en main et ce sésame aide le taxi à franchir les deux cordons de police qui nous séparent encore du but. Nous y voilà. Ignorant la file d’attente de gens frigorifiés qui s’est formée au bas des marches, nous grimpons prestement jusqu’à l’entrée : ma « tenue de ville exigée» (petite robe et escarpins) m’interdit de piétiner dans la neige sous peine de fluxion de poitrine galopante. Nous sommes donc dans le saint des saints, et là, je dois dire que nous ressentons la solennité du moment. Dirigés vers la galerie circulaire vitrée, nous dominons la grande salle pour l’heure entièrement déserte, où des centaines de sièges attendent leurs occupants, l’aigle gigantesque et bizarrement transparent trône sur les lieux dans un silence impressionnant. Nulle fioriture, pas la moindre petite dorure, tout est d’une sobriété, d’une élégance totales, sans être austère. Le Reichstag est véritablement la maison de verre, conçue pour que les députés siègent au vu et au su de tous.

On nous indique les (bonnes) places qui nous ont été réservées dans la tribune, et en attendant le début du Festakt, nous allons faire un tour à la cafeteria du Reichstag, qui bruisse du babil de la presse étrangère, essentiellement française : autour de nous  les tables sont jonchées de caméras (BMTV, TF1, France 5, etc.), les journalistes, au bord de la crise de nerfs, essaient vainement de joindre leurs rédactions, ça téléphone, ça SMesse dans tous les coins. Nous engagerions volontiers la conversation, mais doutons fort que ce soit apprécié et préférons donc ouvrir toutes grandes nos oreilles.

Puis peu avant 14 heures nous regagnons nos places ( à côté de Catherine Trautmann, l’ancienne maire de Strasbourg, et à quelques mètres de Richard von Weizsäcker, l’ancien Président emblématique de la RFA).

Peu à peu messieurs et mesdames les parlementaires font leur entrée en ordre dispersé, français et allemands confondus, apparemment peu pressés de s’installer. On peut voir dans cette aimable proximité les effets bénéfiques du Traité franco-allemand qui impose, depuis sa signature en 1963, des rencontres régulières entre parlementaires et ministres des deux pays : on se connaît visiblement bien ! Puis les deux gouvernements prennent place à leur tour : tiens, tu as vu, Marie-Sol Touraine, pour une fois, elle est en blanc ; ce n’est pas comme Christiane Taubira, qui arbore un vert flashy à faire pâlir tous les Grünen de l’Assemblée. Ah, ça réveille. Moscovici semble au mieux avec Schäuble, avec qui il n’arrête pas de plaisanter et de rigoler. Quant à Fabius, il a l’air bien éprouvé, il en somnole carrément, épanché sur son siège. Puis l’Assemblée se lève comme un/e seul/e homme/femme (parité oblige) : entrée des champions dans l’arène : « Angela », « François », « Jean-Marc », le Président Gauck et le Président de la Cour constitutionnelle fédérale.

Alors, c’est la litanie des discours, et plusieurs des orateurs français se lancent dans un discours en allemand, non sans un certain panache et de solides connaissances de base. Mais dans l’ensemble –comment dire ? – les prises de parole de part et d’autre font un peu pâle figure en ce lieu et en ce jour, qui devrait être, au-delà de la célébration du Traité, un jour de joie, comme ces anniversaires que l’on fête, ravis de retrouver toute la famille et de feuilleter ensemble l’album de photos, en se félicitant d’être encore tous là. Ca sent un peu le job as usual, la figure de style imposée, c’est gentil et consensuel, mais … on s’ennuierait presque. Est-ce vraiment un jour de fête ?

Détail croustillant, tout de même : lorsque Rainer Brüderle, le président du groupe parlementaire FDP, se risque à une envolée un peu lyrique, rappelant que le Traité de l’Elysée a fait de nous, « Français et Allemands, des frères », on entend, venue des rangs des Verts, une voix féminine/iste clamer: « Et des sœurs ! ». « Et des sœurs », s’exécute, fataliste, l’orateur.

A la fin des discours, les deux hymnes nationaux retentissent, la séance est levée.


Départ en bus jusqu’à la Philharmonie, où nous attend un concert « franco-allemand », dirigé par Marek Janowsky, chef de l’orchestre symphonique de la radio de Berlin. Beethoven (Ouverture d’Egmont) et Saint-Saens (« symphonie avec orgue », pour moi un peu musique de cirque, beaucoup de zimm boum boum ; j’espère que ce n’est pas pour les Allemands le nec plus ultra de la musique française). La Philharmonie à elle seule vaut le déplacement : cette construction bizarrement asymétrique à l’extérieur comme à l’intérieur, comporte en son centre une scène située au fond de l’immense salle de concert. Son acoustique est parfaite : on entend pratiquement un chuchotement d’un côté à l’autre de la salle.

Beau moment musical, suivi d’une réception plantureuse. Quelques instantanés saisis : Montebourg vibrionnant au milieu d’une cour féminine, Borloo, le premier que nous ayons vu un verre à la main à notre arrivée à la Philharmonie, le Président Gauck, que j’arrive à photographier, presque à bout portant. Et puis l’ambassadrice d’Allemagne, avec laquelle nous échangeons quelques mots. Elle n’a sans doute jamais vu trace de la lettre de Christian envoyée par Antje, qui a dû être interceptée au passage : c’est son secrétariat qui a la maîtrise totale de son emploi du temps, nous dit-elle.


Quelques réflexions  sur le « Festakt » – réminiscences


A la Philharmonie, le Président Gauck a ouvert son discours, de loin le plus intéressant de la journée, par une longue citation d’Hanna Schygulla, « la Parisienne allemande », rappelant ses premières impressions quand elle débarquait à Paris en 1963, à l’âge de 19 ans. A l’enthousiasme des Allemands suscité par le discours de de Gaulle, qui leur redonne la conscience perdue de leur grande nation, elle oppose la réaction de rejet des Parisiens d’alors qui ont encore dans les oreilles le martèlement des bottes allemandes sur le pavé de la capitale.

En cette même fin d’octobre 1963, à l’aube de mes 22 ans, je fais le chemin inverse en débarquant à Cologne, pleine d’insouciance et de la bonne conscience que procure la certitude d’être du « bon côté. » Patatras : il ne faut que quelques mois pour que la belle construction se fissure, que le doute s’insinue, que la réflexion s’amorce. Des tracts, distribués par des associations d’étudiants algériens, dénoncent l’emploi massif de la torture pendant les années de la « pacification » de l’armée française en Algérie. Quoi ? Nous, hier encore valeureux libérateurs de Paris, de la France, contre la barbarie nazie, nous aurions été capables de telles abjections ? Mais au fait, j’aurais pu le savoir, si j’avais vraiment voulu : Il y avait eu ces manifestations, ce « Manifeste des 121 »et puis, et puis… les études, les copains, les vacances ; bref, j’étais complètement passée à côté de ces sidérantes informations ; exactement comme ces millions d’Allemands auxquels on reprochait si vigoureusement d’avoir fermé les yeux sur les camps de concentration. Encore les Allemands avaient-ils eu des raisons beaucoup plus valables de « n’avoir pas vu » : c’était la guerre, avec tous ses dangers, l’info était totalement verrouillée, la terreur nazie régnait, chacun se méfiait de tous et avait une priorité : trouver à manger, comme dit Brecht : « Erst kommt das Fressen, dann kommt die Moral. » Et ils étaient des millions en effet à mener une lutte quotidienne et exclusive pour subsister.

Moi, je n’avais pas cette excuse : je vivais dans un pays où régnaient – en principe -la liberté de la presse et la liberté d’opinion, et si j’avais vraiment voulu savoir, ça n’aurait pas été très difficile. Et il fallait, ironie du sort,  que ce soit précisément en Allemagne que je reçoive cette leçon. Ca a été le premier ébranlement, la fin de l’innocence, la fin du tout-noir et du tout-blanc. L’envie aussi de connaître, de comprendre, d’entamer un dialogue qui ne s’est jamais interrompu depuis.

1963, c’était aussi l’année de ce Traité franco-allemand signé en janvier, Traité « d’amitié franco-allemande », que Hanna Schygulla de son côté, Victor et moi dans la foulée, à l’instar de milliers d’autres jeunes de notre génération – j’en connais pas loin de chez nous -, étions en train de mettre en pratique sans le savoir, comme Monsieur Jourdain et sa prose, découvrant au-delà des belles paroles et des symboles, la réalité du pays voisin, pas toujours facile, le dépaysement, la découverte de l’étrange mais aussi du semblable, parfois la méfiance, voire l’hostilité, mais aussi la belle hospitalité. Ce traité, qui paraît aujourd’hui aller de soi, nous en savons la valeur et l’audace inouïe, replacé dans le contexte de l’époque. C’est lui qui a mis le fameux « moteur » en route, et la construction européenne, qui a fait d’Hanna Schygulla une Parisienne allemande et de ceux de la FAPS des Européens franco-allemands.

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