HOMMAGE À BIRGIT VANDERBEKE
Birgit Vanderbeke est l’un des écrivains importants des trente dernières années en langue allemande. Née en 1956 à Dahme, dans le Brandebourg, en Allemagne de l’Est, elle a émigré à l’Ouest avec sa famille à l’âge de cinq ans. Après avoir séjourné quelque temps dans plusieurs camps de transit, la famille s’installa à Francfort sur le Main. Sa première nouvelle, « Le dîner de moules » (Das Muschelessen ) remporta en 1990 le prestigieux prix Ingeborg-Bachmann-Preis, l’équivalent allemand du Prix Goncourt. Il y est question de la décomposition d’une famille en apparence modèle. Après un bref séjour à Berlin, elle s’installa avec son fils dans le Sud de la France, où elle est décédée ce mardi 24 décembre.
Parmi ses nombreux romans citons : Ich sehe was, was Du nicht siehst, Fehlende Teile, Ich will meinen Mord, Alberta empfängt einen Liebhaber, et les trois derniers, conçus comme une trilogie autobiographique : Ich freue mich, dass ich geboren bin, Wer dann noch lachen kann, Alle, die vor uns da waren. Ils sont tous publiés au Piper Verlag. Un certain nombre d’entre eux ont été traduits en français, aux éditions Stock. Elle a écrit aussi un guide littéraire sur le Midi de la France : Gebrauchsanweisung für Südfrankreich (Midi, mode d’emploi)
. Voici un texte écrit en sa mémoire, aujourd’hui 30 décembre, par Evelyne Brandts :
Schwesterchen, Petite sœur,
Tu es partie à ta façon, abrupte, sans crier gare. Un mouvement d’humeur de plus ? Vous m’embêtez, je ne vous supporte plus, je m’en vais. « Sie konnte nicht mehr », a dit Bernd, le compagnon du beau comme du gros temps. Et je m’en veux, oh combien, d’avoir pris tes revirements, des changements d’humeur pour des caprices. Tu avais mal à la vie, tout simplement. Et tu essayais, désespérément, de lui trouver, de lui donner un sens, malgré tous les signes qui prétendaient te convaincre du contraire. Tu la voulais, la belle vie, quand tu t’es carapatée d’Allemagne il y a une trentaine d’années, pour venir t’installer dans le Midi, à côté de chez nous, pensant venir à bout des fantômes et des maléfices. Il t’en a fallu du courage pour partir dans l’inconnu, flanquée de ton petit bonhomme. Ça ressemblait beaucoup à une fuite, et ça a donné cette merveilleuse nouvelle, lancée comme une libération : « Ich sehe was, was du nicht siehst » (Devine ce que je vois). En pénétrant pas à pas dans ce monde à découvrir, tu te lavais le regard de toutes les souillures laissées derrière toi… croyais-tu. Les démons t’ont rattrapée, tu leur as vaillamment tenu tête comme la chèvre de monsieur Seguin affrontant le loup. Ils étaient les plus forts.
Mais tu es sortie gagnante, tu as offert aux lettres allemandes la légèreté, la nervosité, l’humour corrosif qui lui faisaient défaut, et qui resteront ta marque pour toujours. Jusqu’au bout, tu as pratiqué le « rire pour ne pas pleurer », suprême élégance du désespoir.
Ton avant-dernier roman s’intitulait : « Ich freue mich, geboren zu sein » (Je suis contente d’être née). Nous aussi, nous sommes contents que la vie ait fait se croiser nos chemins, mais nous avions encore tant de choses à nous dire.
Au revoir petite sœur, Schwesterchen.
Evelyne